La suppression des "charges" sociales : une mesure libérale, dangeureuse et inefficace
La mode à droite en ce moment en matière d’emploi, est à l’exonération massive des cotisations sociales : suppression des charges contre la création de deux emplois pour Bayrou, exonération de celles prélevées sur les heures supplémentaires pour Sarkozy.
Rappelons d’abord un élément clé de vocabulaire : le patronat et les salariés ne payent aucune charge, ils versent des cotisations sociales, ce qui est différent. Cette précision lexicale est loin d’être superflue, car elle est lourde de signification quant à la vision de l’économie et de la solidarité nationale qu’elle induit. Parler de cotisations et non de « charges » n’est pas anodin : c’est d’abord utiliser le terme exact, mais c’est également défendre le fait que les cotisations ne peuvent être considérées uniquement comme un coût, car elles contribuent à financer le système de protection sociale (assurance chômage, assurance maladie, retraites, accidents du travail…). Et si le patronat a réussi à imposer le terme de « charges sociales » dans les consciences, les médias, et même quelquefois dans les rangs de la gauche, cela en dit long sur la bataille que nous avons à mener sur le terrain des valeurs, des idées, du sens des mots. Fermons la parenthèse, mais le vocabulaire est important.
Revenons-en à la proposition du moment, celle de François Bayrou, le candidat qui met son clignotant à gauche et tourne systématiquement à droite, proposition visant à supprimer les « charges » sociales pendant 5 ans contre la création de deux emplois. Il est temps de mettre fin à ce qui fait partie des fausses bonnes idées de Bayrou.
- Cette mesure est d’abord économiquement peu efficace comparée à son coût. Depuis 1993, 7 dispositifs différents de baisse des cotisations se sont succédés, avec un effet sur l’emploi discutable. Si les réformes ont été nombreuses, les évaluations ont elles été plus rares, et si elles démontrent une incidence relativement positive sur le nombre d’emplois créés (entre 200 000 et 600 000), ce chiffre est au final peu élevé comparé à d’autres mesures plus efficaces, et est à relativiser au vu des pertes d’emplois liées aux économies de dépenses publiques nécessaires pour financer les exonérations. La Cour des Comptes présidée par Philippe Seguin a ainsi estimé en 2006 que les politiques d’allègements de charges depuis 1993 étaient « très coûteuses, incontrôlées » et manquant « d’évaluation quant à leurs effets sur l’emploi ».
- Comment Bayrou, cet adepte de l’assainissement des finances publiques par la méthode Coué, compte-t-il financer les protections sociales collectives après ces nouvelles exonérations ? Faut-il rappeler que la France est le pays qui dépense déjà le plus au monde en matière d’allègements de cotisations sociales, avec 15 à 20 milliards d’euros par an, et ce le plus souvent sans aucune contrepartie de la part des entreprises, tout cela pour des résultats limités ? Les cotisations sociales, c’est d’abord la contribution à un système de solidarité et d’assurance pour le salarié : baisser les cotisations sans répondre réellement à la question du financement de l’assurance chômage, maladie, vieillesse (lorsque l’on sait que las exonérations ne sont pas intégralement compensées par l’Etat) est tout simplement irresponsable envers les salariés et les générations futures, et révélateur d’une vision libérale de l’économie visant à détricoter point par point les protections collectives dont bénéficient les travailleurs au profit de l’épargne individuelle et du chacun pour soi.
- Supprimer les cotisations pendant 5 ans, c’est créer des effets d’aubaine et favoriser le turn-over au sein de l’entreprise : un employeur a en effet tout intérêt à tirer le profit maximal de ces allègements de charge, en ne gardant ses salariés que 5 ans pour bénéficier de ces exonérations. On peut déjà remarquer aujourd’hui les effets pervers des exonérations sur les bas revenus, quand les entreprises freinent des quatre fers pour limiter le plus possible une augmentation des salaires qui signifierait un accroissement des cotisations.
- Enfin, c’est mal connaître les raisons qui poussent une entreprise à embaucher. Il ne suffit pas de diminuer le coût du travail pour qu’une entreprise trouve subitement nécessaire d’employer un salarié dont elle n’avait pas besoin la veille.
Passons sur la proposition de Sarkozy qui va dans le même sens, mais qui concernerait les heures supplémentaires, conformément à son credo « travailler plus pour gagner plus ». Outre le fait que le monde du travail n’est pas celui des bisounours, et qu’il ne suffit pas de lever le doigt et de demander gentiment à son patron pour obtenir une durée de travail à la carte suivant ses difficultés à arrondir ses fins de mois ou non, baisser le coût des heures supplémentaires revient à sacrifier les chômeurs exclus du marché de l’emploi sur l’autel de l’augmentation de la durée du travail. A ce rythme, les heures supplémentaires avec Sarkozy coûteront moins cher que les heures légales ! On imagine les dégâts en matière d’emploi, et les pressions exercées sur les salariés pour les inciter à « accepter » de travailler plus, pour au final gagner moins tant que l’on ne saura pas qui financera dans le futur leur protection sociale.
Car derrière cette question du financement se pose celle de la « TVA sociale », dont Bayrou juge l’idée « intéressante » (en estimant que sa proposition constitue « un pas en attendant ») et Sarkozy estime la mise en place souhaitable. Cela consisterait à augmenter la TVA et à affecter une partie du produit au financement de la protection sociale : autant dire que cela renforcera le caractère déjà profondément injuste de la TVA, et conduira à un transfert vers les ménages des impôts et cotisations versés par les entreprises.
Les socialistes ont une autre vision du marché du travail et des politiques d’emploi à mettre en œuvre. Les aides publiques et les exonérations de cotisations sociales doivent être limitées et comporter des contreparties, notamment en terme d’embauches et de nature des contrats de travail. A quoi servent les allègements de cotisations si les entreprises ne s’engagent pas à embaucher, ou si les emplois créés ne sont que des emplois précaires ? Il ne s’agit pas de faire des exonérations pour faire des exonérations.
L’amélioration de la situation de l’emploi ne pourra également se faire sans une relance du pouvoir d’achat : revalorisation du SMIC, des bas salaires, des retraites, lutte contre le logement cher sont les préalables à toute politique économique juste et efficace., contrairement à ce que veut nous faire croire la droite avec ses solutions simplistes.
Cette mesure phare de « baisse des charges » commune à Bayrou et Sarko suffit à montrer le camp dans lequel ils se situent tous les deux : celui de l’individualisation inégalitaire des prestations sociales faute de financement, celui des cadeaux aux entreprises qui ont démontré leurs limites, celui de la dévalorisation du travail et de la réduction des droits des salariés, car travailler et verser des cotisations sociales c’est aussi et surtout contribuer à la solidarité nationale, à sa propre sécurité et à celle des générations futures.